jeudi 21 novembre 2024 11h45
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Cormoranche-sur-Saône : Quand Valentin Marion retrace l’Histoire de son entreprise
Tout a donc commencé en 1923, quand Nicolas Morel, né à Grièges en 1891, travaillait dans nos villages en tant que charpentier et maçon. Il était également cultivateur et marguillier (Ndlr : La personne qui fait sonner les cloches dans les églises). Avec Rose, sa femme, ils ont cinq enfants : Nicolas, René, Lucien, Pierre et Marie. Le couple acquiert la ferme (que l’on rénove en ce moment) après la 1ère Guerre mondiale, qui était une ancienne forge, et qui appartenait à Mr Bazin.
C’est donc en premier temps Nicolas, l’ainé de la famille, qui vient aider son père à l’entreprise en janvier 1945. Il sera suivi de René en Mai 1951, qui était alors menuisier-ébéniste aux meubles Prevel à Bâgé-le-Châtel.
C’est dans la ferme familiale que les devis et les factures se faisaient, plus précisément dans le salon. Après-guerre, en mars 1947, ils s’équipent d’une fabrique de moellons, installée à l’arrière de l’habitation, j’ai pu noter que les habitants entendaient cette installation dans tout le village ! Rares étaient les maçons qui fabriquaient eux même leurs matériaux, on peut souligner l’aspect innovant à l’époque des deux frères Nicolas et René. Les moellons étaient aussi vendus aux autres entreprises locales et aux fournisseurs. Arrive également Pierre au côté de ses frères en septembre 1953, puis appelé à l’armée de juin 1955 à octobre 1957. Je n’oublie pas Marie, sœur cadette de la fratrie, qui réalisait la partie administrative en plus de son travail, et toujours au salon de la maison.
Dans ce salon de la ferme familiale, nous avons une belle anecdote : Jacques Brel faisait un concert au Foyer rural de Cormoranche. Rose gardait des enfants à la maison, et n’a donc pas pu assister au concert. Pendant l’entracte de la représentation, Lucien et Marie sont allés voir Jacques Brel, pour lui demander de faire une chanson pour leur maman.Il a du coup mangé dans le salon, une belle nappe était dressée, il a chanté, et beaucoup de personnes étaient au portail de la maison !! Puis en fin de soirée, c’est Lucien qui l’a remmené prendre son train…
L’entreprise a également connu des moments tragique pendant ces années 50. Malheureusement, un accident arriva le 18 janvier 1956, où on appella René sur un chantier à Cormoranche, route du Lac. Des travaux de fouille sur une fosse à purain se faisaient le long de la ferme en pisé, le béton craquait, René est descendu et la maison s’est effondrée. Il fût tué sur le coup à l’âge de 33 ans. Sa femme devint veuve avec trois enfants, dont Jean-Marc Morel.
C’est ensuite en janvier 1959 que l’entreprise fût nommée « Morel Frères » avec l’arrivée de Lucien, comptable de métier, qui rejoint donc ses frères Nicolas et Pierre, à la mort de leur papa. L’entreprise comptait alors quatre salariés en plus des trois frères Morel. Les années 60 marquent le développement des logements, avec énormément de travail au planning. En même temps, les travailleurs portugais arrivaient en France, et l’entreprise Morel les a accueillis à partir de 1963. On peut nommer Domingo Salgado en 1966 et Heitor Martin Rufo en 1969, Manuel Araujo, Joaquim Perreira en 1966, Antonio Pacheco, certains arrivant à pied du Portugal par « le chemin des lapins, au travers des montagnes, les pieds en sang » comme Guillerme Perreira De Lima. Ils étaient logés dans la ferme dites « chez Desporte » à côté de l’entreprise et à divers endroits dans le village.
Avec cette montée en puissance dans le bâtiment, l’embauche des travailleurs portugais et Français, on comptait 34 salariés en 1967.
Ces années sont également marquées par l’acquisition de notre bâtiment « Bureaux »(avec rénovation), la construction de ce hangar et un déménagement de l’entreprise au tout début des années 70. A cette époque, un jeune chef d’équipe faisait ses preuves, Gérard Cizaire, devenu ensuite conducteur de travaux à l’entreprise après avoir fait 20 ans de chantiers Morel.
Avant les années 80, la clientèle était essentiellement composée de particuliers, avec la construction de lotissements complets et de villas individuelles. Une deuxième vague d’immigration arrivait début des années 70, celle des travailleurs turcs.
Ils ont permis à l’entreprise de faire face à une grande quantité de chantiers, notamment les appels d’offres publics, avec la construction de nombreux gymnases, écoles et salle communales. On peut citer la laiterie de Grièges, et à Pont-de-Veyle : l’ancienne gendarmerie, le gymnase, le bâtiment La Poste, la trésorerie et le Crédit agricole.
Ces travailleurs portugais et turcs ne le savaient sans doute pas, mais ils ont laissé derrière eux des enfants et petits-enfants avec qui nous travaillons aujourd’hui : Jorge Salgado, notre conducteur de travaux, son papa Domingo Salgado, habitant toujours le village. Et aussi par exemple le grand-père de Kaya avec qui nous travaillons, et qui a œuvré chez Morel dès son arrivée de Turquie en 1973. En 1978, on pouvait compter 50 salariés, avec les bureaux.
Bernard Morel rejoint l’entreprise en novembre 1979, après son service militaire. Il avait déjà travaillé de nombreuses fois en tant que maçon depuis ses 14 ans. Tout d’abord il fût chef d’équipe, notamment sur le secteur Thoissey, puis ce que l’entreprise Morel avait racheté la société d’un artisan et son dépôt à Mogneneins, l’entreprise Falconet. Puis il intègre les bureaux en tant que métreur et conducteur de travaux, suite au départ du métreur de l’entreprise, Mr Gadiolet. Il prend ensuite la gérance en 1988 suite au départ en retraite de Lucien, son père. Il a donc travaillé aux côtés de Pierre qui fût le dernier des frères à prendre sa retraite chez Morel.
Les années 80/90 sont marquées par des collaborations avec de nombreux architectes, nous permettant de réaliser par exemple 11 « Buffalo Grill » (le dernier étant celui de Chaintré en 2012), le collège de Thoissey, la maison de retraite de Montmerle, l’extension de l’hôpital de Thoissey et de nombreuses station d’épurations, devenues une spécialité pour l’entreprise pendant 20 ans, sans négliger les particuliers bien sûr.
Pour les années 2000, on peut citer mon arrivée à l’entreprise, en mobylette, pour un premier job de vacances en février 2001 aux côtés de Jorge, mon chef d’équipe. Les chantiers importants de cette décennie sont : à nouveau l’hôpital de Thoissey, la rénovation d’un cloitre à Tournus, de nombreux bâtiments tertiaires comme Inopolis à Limas (69) et JCI à Bourg en Bresse, le gymnase de l’Escale à Saint Jean-sur-Veyle, l’école de Fareins, la construction du musée de la Bresse au domaine des Planons et la restructuration complète de l’école de Treffort. J’ai eu la chance de participer à ces chantiers de gros œuvre et de rénovation pendant mon alternance.
Le métier de conducteur de travaux, occupé à l’époque par Gérard Cizaire m’intéressait, j’ai donc poursuivi mes études en alternance BTS au lycée Carriat de Bourg-en-Bresse, puis une licence professionnelle à Grenoble également en alternance pour apprendre ce métier. Embauché en 2006 aux cotés de Gérard Cizaire pour le remplacer, j’ai eu la chance de le suivre de près jusqu’à son départ en retraite en 2011, et j’en profite pour te remercier pour ce que tu m’as appris. Les métiers de carreleurs et de menuisiers ont également disparu de l’entreprise, en ne remplaçant pas les départs en retraite.
Les années 2010 comportent également de nombreux chantiers « référence ». C’est également un tournant majeur de l’entreprise tant organisationnel que financier. Après l’arrivée en 2011 de Fabienne notre secrétaire/comptable /assistante de direction/gestion sociale/salaire et j’en passe ! Un évènement très marquant pour moi en 2013, où l’entreprise était en difficulté avec une soudaine baisse d’activité, comme tout le bâtiment à cette époque. J’étais alors seul conducteur de travaux avec Bernard pour gérer 28 ouvriers, et notre expert-comptable ne nous a pas laissé le choix : licencier huit personnes ou ne plus avoir d’entreprise du tout. Nous sommes donc passé de 28 personnes au chantier à 20, avec l’arrêt de notre métier de charpentier/couvreur. En même temps Yannick Gabillet quitte son poste de chef de chantier Morel et nous rejoignait en tant que conducteur de travaux. L’équilibre « 20 ouvriers/quatre personnes au bureau » s’est mise en place et a permis de mieux gérer/planifier l’entreprise.
C’est en 2015 que Bernard m’a pris entre quatre yeux pour me dire, « tu commenceras à réfléchir pour reprendre l’entreprise ». J’avoue que je m’y attendais un peu ! A ses côtés depuis toutes ses années, j’ai pu deviner ce qu’il allait se préparer pour moi. Ni une ni deux, j’ai cherché si des formations de « gérant » existaient car oui c’est un VRAI métier à part entière. En quelques semaines, je me suis rendu compte que notre propre fédération du bâtiment avait cette casquette formatrice : l’ ESJDB (Ecole supérieure des jeunes dirigeants du bâtiment). Réalisé en 14 mois, de février 2016 à juillet 2017, j’ai fait des aller retours à Valence tout en assurant mon poste de conducteur de travaux. Je suis reparti de Valence en tant que « majeur » de ma promo, et je me suis fait des amis de Annonay à Pierrelatte, et de bonnes adresses viticoles. Avec cette formation et ce diplôme en poche, il ne me restait plus que trois mois avant de reprendre l’entreprise.
Le 1er janvier 2018, le grand jour arriva, je quittais mon poste de conducteur de travaux que j’ai exercé pendant 12 ans. Pour me remplacer, qui de mieux que Jorge, mon ancien chef d’équipe. Il laissa sa place à Albert, ouvrier devenant chef d’équipe, tout le monde est donc monté d’un cran.
En novembre 2019, j’ai acheté les murs et j’ai pu continuer à améliorer le dépôt, créer des vestiaires/cuisine/douche pour nos ouvriers, clôturer l’entreprise. Tout n’est pas terminé, mais cela suit son court.
Depuis six ans, ma satisfaction principale est le contentement de nos clients et architectes/maitre d’œuvre. Les recommandations par « bouche à oreille » s’enchainent, c’est vraiment notre marque de fabrique.
Photo d’accueil : Valentin Marion (à gauche) avec Bernard Morel devant les bureaux de l’entreprise à Cormoranche-sur-Saône.